Benoît Coquart, directeur général de Legrand : « Nous visons une croissance de 5% à 10% de notre chiffre d’affaires »
Ce leader mondial des infrastructures électriques et numériques du bâtiment a dévoilé des comptes annuels record et se montre confiant malgré l’inflation. Son patron, Benoît Coquart, nous détaille les raisons de cet optimiste dans les atouts de Legrand.

Comment appréciez-vous la performance réalisée par Legrand l’an dernier ?
Benoît Coquart (directeur général) : Nous la qualifions de record à la fois sur nos résultats et un plan extra-financier avec notre politique RSE. Et ce malgré un environnement sanitaire et économique encore perturbé et compliqué. Notre compte d’exploitation traduit un chiffre d’affaires historiquement élevé de 7milliards en croissance de 14,7% et même de 5,6% par rapport à un niveau pré-pandémique, une rentabilité opérationnelle ajustée également record de 20,5%, en amélioration d’un demi-point sur deux ans, un bénéfice net jamais atteint de 904,5 millions et une génération de de trésorerie ( « free cash flow ») de 1,1 miliard. Cette excellente performance reflète le dynamisme de notre marché de l’équipement électrique soutenue par des tendances de fond (télétravail, transition énergétique des bâtiments, numérisation de l’économie) qui se sont accélérées avec la crise sanitaire. Les différentes options prises par Legrand nous permettent également de surperformer et de gagner des parts de marché. Nous nous sommes montrés par exemple raisonnables dans la revalorisation de nos prix, nous avons choisi de mettre l’accent sur les services à nos clients, par exemple en augmentant de 10% la couverture de nos stocks pour continuer de les accompagner sur leurs chantiers. Enfin, les axes de développement identifiés quelques années auparavant (les datacenters, les produits connectés et la transition énergétique des bâtiments) montent en puissance et nous n’avons cessé d’innover et de lancer de nouveaux produits même pendant la crise.
Dans quelles mesures les ruptures d’approvisionnement et l’inflation ont-elles perturbé la société et comment l’avez-vous géré ?
B. C : Oui effectivement. Le prix des matières premières et des composants a augmenté en moyenne de 11% l’an dernier chez Legrand. Ils représentent un tiers de notre chiffre d’affaires. Notre politique de revalorisation tarifaire s’est limitée à 3,5% pour nous permettre de conserver notre compétitivité et parce que nous disposions d’autres leviers (optimisation de notre structure de coûts, effet volume positif) pour absorber la surchauffe des prix des intrants. Enfin, le message aux investisseurs a toujours été de viser un niveau de marge opérationnelle ajustée de 20%. Reste que la situation demeure tendue sur les approvisionnements en aluminium, sur certains plastiques ou sur les composants électroniques. Les experts anticipent une amélioration dans le courant de l’année, sauf peut-être pour les composants électroniques. Le groupe apprend à gérer ces pénuries et à s’adapter.
Sentez-vous depuis la crise sanitaire une volonté de vos clients d’accélérer leurs investissements liés à la transition énergétique ?
B. C : Oui. Il y a une vraie prise de conscience depuis la pandémie et nous comptons beaucoup sur les plans de relance européens pour aider les particuliers et les entreprises à rénover et à investir dans des solutions électriques plus vertes et plus durables. Mais le chantier est considérable et s’étalera sur la prochaine décennie. Les produits permettant de réaliser des économies d’énergie ont représenté l’an dernier 21% de notre chiffre d’affaires (contre 19% en 2020). En intégrant les solutions connectées et l’équipement des datas centers, un tiers de nos facturations repose sur ces relais de croissance stratégique (contre 29% avant la crise en 2019).
Pouvez-vous rappeler les axes de création de valeur définis dans votre plan stratégique à moyen terme ?
B. C : Notre direction a toujours été très claire : conserver une rentabilité opérationnelle ajustée élevée de 20% et une forte génération de trésorerie (de l’ordre de 13% à 15% du chiffre d’affaires) qui fait la réputation de Legrand. Notre ambition à l’avenir est d’accélérer le profil de croissance du groupe pour être en mesure de délivrer chaque année entre 5% et 10% de progression de nos revenus hors effets change. Deux moyens d’y parvenir : en ayant une démarche offensive sur la croissance externe (quatre acquisitions ont été réalisées l’an dernier pour un chiffre d’affaires supplémentaire de 250 millions d’euros) et en renforçant notre dynamique interne avec toujours davantage de valeur ajoutée apportée à nos produits, y compris les plus classiques, une expansion de nos positions géographiques et une montée en puissance de nos relais de croissance (datas centers, objets connectés, transition énergétique des bâtiments). Enfin, la démarche RSE est un outil de performance auquel je crois beaucoup au-delà son aspect sociétal incontournable.
Existe-t-il une volonté du groupe de se développer sur les logiciels de gestion à distance de l’électricité et les services auprès de clients pour augmenter la part récurrente du chiffre d’affaires ?
B. C : Legrand est avant tout un vendeur de produits et de solutions électriques. C’est ce que l’on sait faire de mieux et nos produits disposent de suffisamment de valeur ajoutée pour gagner des parts de marché sur la concurrence. Reste que les équipements sont de plus en plus connectés et se commandent à distance. Nous nous développons sur ce segment de la connectivité de deux manières : en créant notre propre plateforme pour la gestion des bâtiments de taille petite ou moyenne (il est possible à partir de l’application Legrand de commander son portier vidéo, ses caméras de sécurité ainsi que tous les produits que nous proposons ou en se raccordant à d’autres logiciels du marché sur les très grands bâtiments tertiaires. Cela nécessite un effort d’investissement dans nos logiciels et nous prévoyons à moyen terme d’y consacrer 25% de nos équipes de recherche & développement (contre plus de 15% actuellement).
Estimez-vous la présence mondiale de Legrand suffisante ? Quelles sont les régions à renforcer ?
B. C : Depuis de 10 à 15 ans, le groupe a beaucoup travaillé au rééquilibrage géographique de son portefeuille initialement trop exposé à l’Europe. Désormais, l’activité est mieux répartie entre l’Amérique du nord (40%), l’Europe (40%) et l’Asie et le reste du monde (20%). Cela correspond assez bien au marché mondial de l’équipement électrique, à ceci près que le groupe n’est sans doute pas encore assez présent en Chine ou nous réalisons entre 4% et 5% de nos ventes. L’objectif est de monter en puissance en République Populaire au cours de prochaines années par acquisitions et par croissance organique. La Chine est tout de même le quatrième marché du groupe, devant l’Inde et derrière les Etats-Unis, la France et l’Italie.
La croissance externe fait partie de l’ADN du groupe. Quelles sont les cibles recherchées par métier ?
B. C : Notre stratégie est de cibler des leaders dans leur domaine sur un ou plusieurs pays pour s’en servir ensuite comme cheval de troie. La part de marché est primordiale et racheter un leader offre l’avantage de disposer d’un nom, d’un portefeuille de clients, d’équipes et d’une gamme de produits pour pousser ses pions. L’acquisition l’an dernier d’Ensto en Scandinavie illustre parfaitement notre politique. L’opération nous a permis de tripler de taille en Scandinavie (1,5% des ventes) et nous allons faire jouer les synergies entre nos catalogues de produits pour aider Ensto à accélérer son développement.
Comment abordez-vous l’exercice en cours et quelles sont vos perspectives à moyen terme ?
B. C : Pour cette année, nous tablons sur une légère érosion volontaire d’un demi-point de notre marge opérationnelle ajustée à 20% qui demeurera très supérieure à la rentabilité de notre industrie. Comme, je vous l’ai dit au début de notre entretien, je ne suis pas obsédé par notre marge. Je souhaite simplement la conserver à 20% et utiliser les leviers sur les prix en étant moins agressif pour fidéliser nos clients et gagner des parts de marché. Sur ce demi-point en moins de rentabilité, l’effet dilutif des récentes acquisitions jouera pour 0,2 à 0,4 point. A moyen terme, l’idée est de faire progresser de 5% à 10% notre chiffre d’affaires hors change chaque année, assortie d’une marge opérationnelle ajustée de 20% et d’une génération de trésorerie de 13% à 15% de l’activité.
Pouvez-vous nous rappeler la politique du groupe en matière de rémunération de l’actionnaire à la fois sous forme de distribution de dividende et de rachat d’actions ?
B. C : Elle repose principalement sur la distribution de dividende. Celui de Legrand n’a jamais baissé depuis 1970. ll a toujours été au moins stable, et le plus souvent en progression. Nous sommes très fiers de cette tradition chez Legrand et sommes déterminés à la perpétuer. Pour cette année, le coupon va augmenter de 16,2% à 1,65 euro par action et représente un taux de distribution de l’ordre de 50% du bénéfice net qui est notre pratique. Les rachats d’actions sont, en revanche, une pratique plus limitée surtout destinée à annuler l’effet dilutif lié aux attributions gratuites de titres accordées au personnel.
Comment s’inscrivent les normes de bonne gouvernance ESG chez Legrand ?
B. C : Notre démarche en la matière n’est pas nouvelle. Elle fait partie intégrante de la vie du groupe depuis 2004. Nous bouclons notre quatrième feuille de route et sommes très fiers par exemple d’avoir été en mesure sur les trois dernières années de réduire de 28% nos émissions de CO2 sur les scopes 1 et 2 ou d’avoir augmenté de 18% le taux de féminisation de nos effectifs de managers. La 5eme feuille de route RSE sera présentée en mars et comportera de nouveaux engagements. En matière de gouvernance, Legrand bénéficie d’une bonne réputation avec une dissociation des fonctions de président et de directeur exécutif, une proportion importante d’administrateurs indépendants, trois comités d’administrateurs sur quatre présidés par des femmes et des résolutions adoptées chaque année en assemblée générale à une très large majorité de plus de 90%.